De l’art de se convaincre que jusqu’ici tout va bien
- maxime krummenacker
- 1 mars 2015
- 3 min de lecture
Toujours dans ma lancée mystico-ésoterrienne (je viens d’inventer ce mot qui semble approprié en l’occurrence), je continue la lecture du Langage des oiseaux et ne cesse d’y puiser de l’inspiration pour justifier/accepter ma situation actuelle.
Évidemment les paroles réconfortantes et ô combien élevées des sages musulmans ne me mettent pas à l’abri de détester mon voisin dans le train, qui n’a cessé d’expirer bruyamment par la bouche à chaque mouvement tout au long du trajet, comme si être assis sur son gros cul lui demandait un effort considérable. C’est un point à améliorer j’en suis conscient et tout sage mystique n’aurait pas manqué l’occasion de rappeler qu’il est préférable « d’aimer son prochain comme soi-même ».
Mais mes pensées ne se sont pas arrêtées à l’épisode de l’inconvenant voyageur et ont continué leur cheminement quotidien vers le trou existentiel où je suis tombé… par inadvertance. C’est actuellement le point zéro où tout s’est arrêté et à partir duquel tout devrait redémarrer, un jour… Le travail de con que je fais, dans l’endroit de consanguins où cela se trouve, au putain de nord-est du putain pôle nord ! Quand j’y pense c’est un grand point d’interrogation qui se dessine dans ma tête, un point d’interrogation légèrement ensanglanté et avec quelques fractures ouvertes, gisant au fond de son trou sous les gravats qui lui tombent dessus régulièrement. On m’avait pourtant assuré qu’aller à l’école me donnerait quelques chances de m’élever dans l’infernale hiérarchie sociale et, dans mon orgueil surdimensionné, je me suis dit que c’était au moins cela qu’il me fallait pour atteindre le sommet branlant de cette pyramide ridicule où, dans la croyance précaire en ma pitoyable supériorité égocentrique, je pourrais conseiller les rois et faire la girouette auprès des soi-disant grands de ce bas monde. Et c’est sur cette fange putride que mes pensées voguent chaque jour, dans le trou étroit et sombre où je me suis échoué… par inadvertance.

Mais ce matin, je lisais un passage où l’arrogant faucon s’exprimait sur la noblesse de son éducation et le haut rang qui lui est dû en société. La huppe lui a cependant donné une leçon digne d’intérêt pour quiconque se sentirait navré d’un sort trop vil et qui aurait pour ambition de devenir compagnon des rois. Que voulez-vous, pour nous qui vivons bercés d’illusions il est bon d’apprendre à se convaincre que jusqu’ici tout va bien. Extrait :
« Le faucon arriva ensuite fièrement, et vint dévoiler le secret des mystères devant l’assemblée des oiseaux. Il fit parade de son équipement militaire et du chaperon qui couvre sa tête. Il dit : « Moi, qui désire me reposer sur la main du roi, je ne regarde pas les autres créatures ; je me couvre les yeux d’un chaperon, afin d’appuyer mon pied sur la main du roi. Je suis élevé dans la plus grande étiquette, et je pratique l’abstinence comme les pénitents, afin que, lorsqu’un jour on m’amène au roi, je puisse faire exactement le service qu’on exige de moi. […] Celui qui jouit de la faveur royale obtient ce qu’il désire. Or, pour me rendre agréable au roi, je n’ai qu’à prendre mon vol dans des vallées sans limites. Ainsi je n’ai pas d’autre désir que de passer joyeusement ma vie dans cette situation […] ».
La huppe lui dit : « Ô toi qui es sensible aux choses extérieures sans t’occuper des qualités essentielles, et qui es resté attaché à la forme ! sache que si le roi avait un égal dans son royaume, une telle royauté ne lui conviendrait pas. […] Celui-là n’est pas roi qui fait follement sa volonté dans un pays ; mais le roi est celui qui n’a pas d’égal, qui est fidèle et conciliant. Si le roi du monde est souvent équitable, il se livre cependant quelquefois à l’injustice. Plus on est proche de lui, plus on est sans doute dans une position délicate ; on craint toujours de déplaire au roi ; la vie même est souvent en danger. Le roi du monde peut être comparé au feu ; éloigne-toi de lui, cela vaut mieux que d’en approcher. Il est bon de vivre loin des rois, ô toi qui as vécu auprès d’eux ! sache-le bien. »
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