Du bonheur
- maxime krummenacker
- 13 oct. 2015
- 6 min de lecture
”Être bête, égoïste et avoir une bonne santé, voilà les trois conditions voulues pour être heureux. Mais si la première vous manque, tout est perdu. »
Flaubert
Le substrat du bonheur résiderait avant tout dans la bêtise à en croire l’illustre Flaubert, ce qui peut s’avérer vrai dans bien des cas et assez funeste à coup sûr. Il m’est arrivé de considérer, déjà avant de lire Flaubert, que les pensées qui bruissent en permanence dans ma tête étaient tellement envahissantes qu’elles allaient finir par me rendre fou, aux antipodes de ce l’on pourrait qualifier de bonheur. Et cette idée a cheminé dans ma tête pour aboutir à un autre degré d’interprétation : en effet, si mes pensées et questionnements incessants me rendent malheureux – je sous-entends ici sans ambages que les pensées sont signes d’intelligence, donc que je suis intelligent – alors n’est-ce pas le présage d’une certaine forme de bêtise ? Je me demande par là à quoi sert la si choyée et chatoyante Intelligence de l’Homme quand son action n’a d’autre effet que de rendre ce dernier accablé par le poids écrasant de la perspicacité. L’intelligence ne devrait-elle pas plutôt être le vecteur privilégié du Bonheur, le fluide qui lubrifie les canaux tortueux qui y conduisent, la petite voix qui nous inspire et le souffle qui gonfle nos voiles dans sa direction ?
Innombrables sont les auteurs, philosophes, méditants, psychothérapeutes et autres qui ont présenté le bonheur comme quelque réalité tangible, et tout aussi innombrables sont ceux qui ont prétendu le contraire. Je parlais du Tetrapharmakos d’Épicure dans le billet précédent, qui est une hygiène de vie rendant le bonheur atteignable et durable d'après son auteur et ses génuflecteurs. Sur le versant opposé, j’avoue avoir un faible pour Schopenhauer et ses réflexions acerbes sur la condition humaine :
« Dans un monde comme celui-là, où aucune stabilité d’aucun genre, aucun état durable ne sont possibles, mais où toute chose est en proie à un éternel mouvement et au changement, où tout se hâte, fuit, se maintient sur la corde tendue en avançant et en remuant toujours, il ne faut pas même songer au bonheur. »
Du bonheur !

S’il est vrai que Schopenhauer n’était pas l’archétype de l’optimiste, il est tout de même un des premiers colporteurs du message bouddhiste en Occident à une époque où celui-là n’était pas encore à la mode. Un fait notable est que la première représentation du Bouddha qu’eut le jeune Schopenhauer était celle d’un être profondément bouleversé par la détresse de la condition humaine : « dans ma dix-septième année, raconte-t-il, dénué de toute éducation classique, je fus aussi fortement saisi par la misère de la vie que Bouddha dans sa jeunesse, quand il vit la maladie, la vieillesse, la douleur et la mort. » Heureusement, Bouddha a grandi et son enseignement avec lui, ouvrant certaines portes sur la compréhension et l’expérience de l’existence dans un monde en mouvement perpétuel.
Après avoir parcouru sommairement quelques ouvrages sur la pensée bouddhiste et la pleine conscience, une question a émergé : pourquoi vivons-nous nos vies d’humains baignés dans un magma de pensées et d’appréhensions, liées au fonctionnement de notre cerveau, dont le rôle est de triturer continuellement des informations, alors qu’il semble que le but de l’existence, et potentiellement la clef du bonheur, réside dans l’expérience de l’instant présent ? Autrement dit, pourquoi sommes-nous dotés d’un processeur ultra puissant quand notre fonction est celle d’un grain de sable ? Cela parait absurde, voire mesquin ! Un caillou est plus évolué qu’un humain dans ce cas, au moins lui, il a compris comment ça marche et est parvenu à "ce haut de degré de stoïque fierté". Non seulement, le caillou est quasi immortel, mais il est à l’abri de la misère et de la maladie, il ne demande aucun entretien et sa patience est sans limite. Un véritable mettre de sagesse en somme !
Et puis on m’a dit : « Ouh là, tu fais fausse route, faudra lire un peu plus sur le sujet. » Du coup j’ai continué mes recherches et la seule réponse qui semble sensée à l’heure actuelle pour résoudre mon équation existentielle tient dans l’état de changement. Je ne sais plus qui me remémorait que la seule chose qui ne change pas, c’est le changement – et j’emploie sciemment le terme de « remémorer » parce que tout le monde sait cela au fond de lui et l’a peut-être simplement oublié. Nous atteignons peut-être là la limite du caillou et de ses qualités, mais c’est tout ce que je peux dire sur le sujet pour le moment.
Dans cette quête du bonheur, je suis également tombé sur des ouvrages de psychologie positive, dont l’abécédaire du psychiatre Christophe André, Et n’oublie pas d’être heureux. C’est d’ailleurs en le parcourant que l’ambitieuse idée de ce billet est née. Merci Christophe de m’avoir inspiré. Car l’auteur exprime certaines idées très lumineuses quant à l’appréciation de l’instant présent à sa juste valeur, dans lesquelles on retrouve l’esprit de sagesse bouddhiste notamment.
Changement

Et c’est à ce moment précis que je lâche la seule chose sensée à dire sur le bonheur cher lecteur, et cette observation est la suivante : il n’existe aucun remède contre l’angoisse, le remord et les projections dans l’avenir ; il n’existe pas de beaume ou de mantra qui permette de balayer à jamais les bruits qui encombrent incessamment notre esprit ; il n’y a pas de cure contre les mauvais jours, l’échec, le mépris, la haine, l’orgueil, la colère et encore moins contre les drames incurables de la vie. Non, malheureusement, il n’y a rien de tout cela et pourtant, il semble que la vie vaille tout de même la peine d’être vécue et c’est ce sur quoi il est bon de s’attarder, comme le rappelle C. André.
Et c’est vrai, le bonheur est présent au quotidien, dans les petites choses, les instants fugitifs de gaité, les regards, les bonjours, les rayons de soleil qui nous font tirer sur nos zygomatiques et nous donnent malgré nous l’air de sourire et j’en passe. Et si rien de tout cela n’arrive dans une journée, il reste tout de même de l’espoir grâce à la loi du changement évoquée plus haut qui veut que rien ne dure, le pire comme le meilleur. Et ce qu’il y a d’encore plus formidable, c’est que le bonheur ça se travaille, ça se développe et ça s’entretient, comme C. André le dit dans l’entrée Effort et entrainement :
« Par bien des aspects, notre esprit obéit aux mêmes lois que notre corps.
Lorsque nous souhaitons devenir plus souples ou plus forts, ou développer notre souffle pour pouvoir courir plus longtemps, nous savons bien qu’il ne suffit pas de le vouloir, mais qu’il va falloir travailler assidûment et nous entraîner pour progresser dans ces domaines.
C’est exactement la même chose lorsque nous aspirons à être plus calmes, à mieux dormir, à ressentir moins de stress, moins de tristesse, moins d’agacements. Il va falloir le travailler au travers d’exercices réguliers. Lesquels ? La pleine conscience en fait partie : régulièrement s’arrêter de faire ou de se distraire pour simplement ressentir, exister, et observer l’écho du monde en nous. Il y a aussi le journal intime, l’examen de conscience, la modification effective et répétée de nos styles de pensée et de comportements (oser dire ce que nous pensons si nous ne le faisons jamais, oser dire des mots d’affection ou d’amour si nous ne l’osons jamais, etc.) Et ce sera alors comme pour notre corps : car ce ne sont pas les concepts qui nous font du bien, mais leur pratique. Penser à la nourriture ne nourrit pas, penser à la marche à pied n’apaise pas : il faut manger et marcher. De même souhaiter être plus calme et plus stable ne s’obtient pas en souhaitant l’être, mais en y travaillant. À la fin, ce sont nos actes qui nous changent : nos pensées ne font que nous conduire vers eux. »
Il se pourrait donc bien à en croire notre auteur, que les pensées – et de ce fait l’intelligence, selon mon raccourci commode du début – puissent également nous guider sur la voie du bonheur si on les façonne de la bonne manière et qu’on les prolonge par nos actes. De dire cela me fait prendre conscience d’un bonheur quotidien dont la source est Pizzete, qui s’évertue, consciemment j’imagine, à me murmurer à l’oreille qu’elle m’aime en guise de première parole du matin et de derniers mots du soir et ce, tous les jours.
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