De l’art d’avoir l’air con face à autrui
- maxime krummenacker
- 4 mars 2015
- 3 min de lecture
C’est étonnant comme le déroulement des événements dans notre vie peut s’avérer précis et ordonné par moments. Il suffit qu’on s’intéresse à un sujet ou qu’on lise un papier sur quelque chose, comme par exemple sur le fait que la parole – entendez la langue – donne le pouvoir à celui qui la maîtrise par rapport à celui qui ne la connaît pas ou peu, pour en expérimenter la véracité. La grande question « qui va nous mettre le ravioli en ébullition » quant à ce type de « coïncidences » demeure de savoir si nous prêtons tout à coup attention à un événement parce que nous y avons été sensibilisés récemment par une lecture ou une discussion, ou si nous sommes soumis, par une sorte de réaction en chaine universelle éprouvée, au déroulement d’une séquence de vie qui nous plonge graduellement et en profondeur dans une situation afin d’en expérimenter la saveur plus intensément - quelle qu’en soit la saveur.
Et c’est exactement ce qui m’est arrivé l’autre jour que j’étais en train de préparer un travail pour mon cours de suédois. (Vous penserez peut-être que je me la pète avec le suédois mais c’est par pure nécessité que je fais ca.) J’avais choisi le sujet du langage et du pouvoir : comment le langage donne du pouvoir sur autrui. L’intuition est évidente : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu » (Jean 1-1) n’est-ce pas. Après quelques lectures sur le fait qu’on est souvent considéré comme retardé mental devant des gens qui nous parlent dans une autre langue dont on ne comprend pas tout, voire rien, je me suis rendu chez le médecin. Difficile d’expliquer certaines choses en suédois, même avec beaucoup de préparation à grand renfort de Google translate. Le mec n’ayant pas compris tout de suite, il m’a expliqué ce qu’il était convenu de faire dans mon cas et à mesure qu’il m’expliquait dessein à l’appui, je voyais bien dans ses yeux la jouissance sadique qu’il éprouvait à me voir me décomposer. Je ne suis pas bien bronzé par nature et les mois d’hiver suédois n’aident pas vraiment, et ne pouvant donc être plus blême que ce que je suis déjà, je pense que je suis passé du rouge (le temps d’enlever ma veste pour éviter de succomber au malaise) au vert pâle avant que les gouttes de sueur commence à perler sur mon front. J’ai donc réitéré mes explications, après un gros effort sur moi-même, pour lui expliquer que sa méthode semblait assez extrême étant donné la bénignité manifeste de mes symptômes !

« Ah j’avais mal compris » a dit le bon docteur avant de m’envoyer vers le laboratoire d’analyse ou l’infirmière m’attendait après avoir été prévenue par message instantané de mon arrivée (oui la Suède est très en avance dans l’interconnexion de ses services de santé). Cette dernière m’a donc accueilli en me demandant, en suédois mâchonné, si je venais d’un rendez-vous avec le docteur, question à laquelle j’ai répondu « non » ayant cru qu’elle me demandait si c’était la première fois que je venais dans cet hôpital, et qui m’a valu un regard sceptique et condescendant suivi d’un « bon assied-toi quand-même (pauv’con) ».
C’est drôle quand j’y pense comme on peut vraiment avoir l’air con des fois et je comprends la réaction des gens qui me regardent comme un attardé dans un premier temps. Puis vient le sentiment qu’ils feraient surement moins les malins si on les envoyait à la Pitié Salpêtrière pour une consultation en français !
Dans tout les cas on s’éprouve vraiment à l’étranger et on apprend à mettre son égo de côté au quotidien. Les Beaux Arts de l’air con et le pouvoir à celui qui maîtrise le verbe.
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