De l’art de se réjouir pour les autres et par les autres
- maxime krummenacker
- 10 mars 2015
- 3 min de lecture
Mon frère, qui a parfois de prodigieuses capacités de perception quant à la nature des gens, m’a un jour fait remarquer que je n'étais pas une personne empathique. Quoi ? Pourquoi y me dit ça lui, pour qui y se prend ce connard ai-je pensé ! Moi qui suis d’ordinaire plutôt compréhensif vis-à-vis de la situation d’autrui. Cette remarque n’a cependant jamais cessé de tourner dans ma tête et il m’arrive même parfois de penser que mon frère a raison. Car il y a un gouffre entre la compréhension intellectuelle, voire émotionnelle, de ce qui arrive aux autres et la « faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent » qu'est l'empathie, selon la définition du Larousse.
Honnêtement, je n’ai jamais fait grand-chose pour quelqu’un d’autre que moi. Si je regarde de près, même la recherche de l’amour a été une quête de stabilité émotionnelle purement égoïste et je découvre à peine aujourd’hui le voile de ce que veut dire vivre ensemble, à deux, et partager le bon et le moins bon comme une seule personne. Rien que d’y penser me hérisse le poil, c’est dire l’étendue du désert intérieur qui fut peut-être jadis un océan d’empathie, mais qui s'est tari sous le règne impitoyable de l’aride dieu Égo ! Ou pas. Cela dit, tout peut changer n’est-ce pas ? Les alchimistes ont bien transformé le plomb en or il y a déjà longtemps n’est-ce pas ? Le vil peut devenir noble au prix de quelque effort semble-t-il. Cette réflexion m’amène à l’anecdote suivante.
Nous avons débouché le champagne l’autre soir pour célébrer le succès de Pizzete, qui a décroché un nouveau job. Je dois avouer, au risque de passer pour un salaud, que je réservais cette bouteille pour mon propre triomphe qui se fait inopportunément attendre comme un train à la SNCF. Ça a été un moment euphorique et une réelle joie de voir Pizzete si heureuse. Une telle intensité est plutôt rare et nous avons su en apprécier toute la saveur, chaque seconde libérant dans une crépitation délectable le nectar du fruit cueilli à l’arbre de la félicité. L’exaltation de Pizzete est peu à peu devenue ma joie. Oui, ce qui était source d’allégresse pour elle s’est transformé en Joie pure et simple, à travers elle. Par elle. Une expérience alchimique formidable !
De l'empathie

Évidemment ce n’est pas tous les jours comme ça. J’avais refusé d’aller fêter la glorieuse réussite d’une copine la semaine précédente. Certains n’ont jamais eu besoin de prendre le train de la SNCF. Voir cela n’aurait en rien rempli la gourde (jadis océan) de mon empathie, bien au contraire et plutôt que de succomber à nouveau aux noirs tourments qui me dominent en écrivant ces dernière lignes, je ferme les yeux et écoute ce qu’en disent les oiseaux :
Bon mot d'un sage sur un palais
« Un roi fit élever un château orné de dorures pour la construction duquel il dépensa cent mille dinars. Lorsque ce château fut semblable au paradis, on l’embellit encore par des tapis. De tous les pays il vint des gens présenter au roi leur hommage, et ils lui offrirent des présents sur des plateaux. Le roi appela alors, avec ces hôtes, les notables de son royaume ; il les fit venir auprès de lui, les fit asseoir sur des sièges, et leur dit : « Comment trouvez-vous ce palais ? Y reste-t-il quelque chose à désirer pour la beauté et la perfection ? » Tous dirent alors : « Personne ne vit jamais ni ne verra jamais sur la face de la terre un palais pareil. »
Toutefois un homme voué à la dévotion se leva et dit : « Sire, il y a une fente, et c’est un grand défaut. Si ce palais n’avait pas ce défaut, le paradis lui-même devrait lui apporter un présent du monde invisible (pour reconnaitre sa supériorité). » « Je ne vois pas la fente dont tu parles, répliqua le roi ; tu es un ignorant et tu veux exciter du trouble. »
Le soufi dit : « Ô toi qui est fier de ta royauté ! sache que la fente dont il s’agit est celle par laquelle doit passer l’ange de la mort. Plût à Dieu que tu pusses boucher ce trou ! car autrement qu’est ce palais, que sont cette couronne et ce trône ? Quoique ce palais soit agréable comme le paradis, la mort le rendra désagréable à tes yeux. Rien n’est stable, et c’est ce qui enlaidit l’endroit où nous vivons. Aucun art ne peut rendre stable ce qui ne l’est pas. Ah ! ne te complais pas tant dans ton palais et dans ton château ; ne fais pas tant caracoler le coursier de ton orgueil. Si, à cause de ta position et de ta dignité, personne ne te fait connaître tes fautes, malheur à toi ! »
`Attar
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