Who the fuck is Coriolan ?
- maxime krummenacker
- 20 avr. 2015
- 7 min de lecture
« L’infatuation, cette compagne de la solitude »
Platon
J’aurais pu intituler ce billet « de la colère », mais la vie de Coriolan est un exemple plus éloquent et imagé que toute tentative de description de ma part sur les conséquences d’un tel vice qui, il faut l’avouer, rôde en moi comme une indomptable bête sauvage prête à bondir à la moindre occasion.
Qui était Coriolan ?
Je puise ici à la source des Vies parallèles de Plutarque pour ceux qui souhaiteraient approfondir le sujet.
Caius Marcius, dit Coriolan à cause de la prise de Coriole, est un héros de la Rome archaïque (Ve siècle avant J.C) pétri des vertus supposées de cet âge.
Orphelin de père, il fut élevé par sa mère qu’il révéra tout au long de sa vie. Coriolan était un homme vertueux et brave, peu intéressé par l’argent et les possessions matérielles, et qui excellait dans l’art de la guerre grâce à sa fougue et son courage. Son statut d’aristocrate patricien, par opposition aux plébéiens formant la masse, les Gamma et les Epsilon, ainsi que ses exploits militaires et son habileté d’orateur lui donnaient accès aux plus grands honneurs accordés par la République romaine naissante de l’époque. Cela dit, son caractère entier et irascible le rendait désagréable et hautain en société, particulièrement vis-à-vis de la plèbe, ce qui s’avéra être une tare funeste à sa destinée a priori si glorieuse.
Cette période charnière de la Rome antique fut en effet marquée par de nombreuses révoltes populaires contre l’oligarchie patricienne, qui déstabilisèrent suffisamment le régime et la sécurité de la cité pour que soient institués des représentants élus du peuple au sein du sénat : les tribuns de la plèbe. Coriolan ne voyait pas d’un bon œil le pouvoir grandissant de la populace qu’il considérait comme vile et inepte, et de laquelle il se méfiait beaucoup. Ayant fait part de ses craintes et de son mépris devant les membres du sénat, ses propos furent dénoncés au peuple par les tribuns et il fut accusé de briguer la tyrannie pour régner sur Rome sans partage. Non seulement ces accusations lui coutèrent la place de consul, plus haute charge de la république romaine, mais le procès qui s’ensuivit et auquel il se présenta non avec le discours humble et suppliant qu’on attendait de lui, mais au contraire en entamant « un morceau dont la franchise ne pouvait que choquer et qui avait plus l’air d’une accusation que d’une défense, le ton de sa voix et l’expression de son visage marquant de surcroît une assurance qui confinait au mépris et au dédain », le vit condamner à l’exil à perpétuité.
Plutarque fait à ce stade une digression intéressante sur la colère : « Marcius seul ne fut ni frappé, ni abattu [i.e à l’annonce du verdict]. C’était toujours la même fermeté dans son air, dans sa démarche et sur son visage ; et, au milieu de la désolation générale, lui seul semblait n’être pas affecté par son sort, non par raison et douceur de caractère, ou par résignation à sa disgrâce : c’était en effet de son indignation et de sa fureur, passions dont on ne sait pas assez qu’elles sont des formes de chagrin, car, dès que celui-ci tourne en colère, il prend pour ainsi dire feu et bannit de l’âme l’abattement et l’indolence. De là vient que l’homme en colère est bouillonnant d’activité, tout comme le fiévreux est brûlant, parce que l’âme est alors dans une sorte d’état où se mêlent palpitations, tension et enflure. »
Là, alors que presque tous les patriciens l’escortaient, il s’éloigna sans rien accepter ni demander et alla passer quelques jours dans une de ses terres, seul « à tourner dans sa tête mille pensées diverses que lui suggérait la colère » et en vint à la conclusion qu’il ne restait qu’un acte noble et utile à accomplir : se venger de Rome.
Je sens que vous trépignez d’excitation et d’admiration pour ce formidable héros chers lecteurs, c’est pourquoi je n’interromps pas plus longtemps mon récit.
Il décida donc de déclencher une guerre sans merci aux Romains et se tourna vers leurs principaux ennemis, les Volsques. Je rappelle que le nom de Coriolan vient de la prise de Coriole, cité volsque qui fut conquise grâce notamment à la bravoure et à la témérité de notre héros et qui lui valut une haine féroce, toute mêlée d’engouement face à une telle ardeur au combat, de la part de ces derniers. Qu’à cela ne tienne, se présentant à son pire ennemi, le chef volsque Tullus Attius, Coriolan parvint à le convaincre de reprendre les armes contre Rome et fut nommé général, rien que cela.
À la tête des troupes volsques, il ravagea les campagnes et finit par mettre le siège aux portes de Rome. Le nom de Marcius grandit alors dans toute l’Italie « où sa valeur jouissait d’un extraordinaire renom, elle qui, par le changement de camp de son seul détenteur, avait produit un retournement de situation totalement inattendu. »
Rome était alors en proie au chaos et entreprit de négocier la paix avec Coriolan. Le peuple même de Rome, après avoir rejeté en bloc la proposition du sénat de le rappeler de son exil, finit par accepter son retour face à l’imminence du danger. Mais Coriolan congédia les députés envoyés par le sénat, principalement des proches et des intimes, en exigeant un prix très élevé pour la trêve et en parlant « avec l’aigreur d’un homme ulcéré du traitement qu’on lui avait infligé. »
Coriolan éconduit tout aussi rudement les députations de prêtres des dieux et autres gardiens des temples selon ces termes : la paix aux conditions exigées ou la guerre. Poussés dans leurs derniers retranchements, les Romains envoyèrent en ultime recourt la mère bien aimée, ainsi que la femme et le fils de Coriolan, pour le supplier de ne pas détruire sa patrie au nom de sa rancœur dévastatrice et implacable. Et ce stratagème fonctionna. Pris d’affliction quant au sort de sa famille, il leva le camp et retourna auprès de Tullus sans plus de consultations avec le conseil de guerre des Volsques, ce qui donna à ses détracteurs, ainsi qu’à Tullus lui-même, jaloux et plein de haine à son égard, un prétexte parfait pour en finir avec lui. Plutarque rapporte au passage les propos tout à fait lucides de Coriolan lorsqu’il renvoya sa mère : « Tu as remporté, dit-il, une victoire heureuse pour la patrie, mais fatale pour moi. Je vais partir, vaincu par toi seule. »
Coriolan face à sa famille implorant sa clémence

Les Volsques conjurés se ruèrent sur Coriolan lors de l’assemblée tenue pour qu’il rende compte de sa conduite et l’assassinèrent sans que personne dans l’assistance ne vînt le défendre. À Rome non plus, personne ne pleura sa mort à part les femmes qui portèrent le deuil pendant dix mois, comme elles avaient coutume de le faire chacune pour un père, un fils ou un frère.
Coriolan, ce héros ?
Si ce billet avait pour vocation initiale d’atténuer l’emprise de ma colère, l’éventuelle portée salvatrice du « mauvais exemple » que représente Coriolan n’a pas prise sur moi au moment où j’écris ces lignes et mon jugement actuel est que ce héros a eu raison de rester fidèle à lui-même et de mourir ainsi plutôt que de vivre une longue vie de merde.
Qu’aurait-il fallu qu’il fasse en effet pour ne pas connaitre une fin si tragique, seul, loin de ses proches ? S’adoucir ? Se laisser maltraiter par la masse et les élites ; rejeté, rappelé et rejeté à nouveau comme une brindille à la merci du vent ? Trop grand pour les petits et trop petit contre la masse, son tempérament était en décalage non seulement avec ses ambitions mais également avec son époque et il n’y avait pour lui aucune issue heureuse tout bien considéré.
Objectivement, je n’aurais probablement pas pu souffrir un tel personnage aujourd’hui, étant moi-même plus peuple qu’aristocrate et bien peu enclin à me soumettre à la gouverne d’élites despotiques, si éclairées soient-elles.
J’admire par contre l’homme qu’était Coriolan, pour son intransigeance et son absence de couardise. Il avait annoncé faire payer cher le traitement ignominieux qu’il avait subi et a effectivement fait trembler l’ingrate Rome, provocant l’incontinence de ses ennemis qui ont pitoyablement regretté d’avoir affaire à sa terrible vengeance. Voilà qui est absolument jouissif ! J’achète, je persiste et je signe en lettre capitale avec mon sang sur la première page et le vôtre sur la dernière.
Platon nous rappelle que l’infatuation est la compagne de la solitude ! Comme si cette dernière était la seule responsable de notre condition misérable. Nous sommes tous condamnés à mourir seuls de toute manière me semble-t-il à moins que je me trompe ? Aurait-on entendu parler de Coriolan la girouette s’il avait été autrement ? Non, il serait probablement mort dans l’oubli de toute façon en ayant fait preuve de compromission envers ceux qui ne lui ont accordé aucune pitié. Au contraire même, son nom est maintenant gravé à tout jamais dans le marbre de l’histoire comme l’homme qui avait les boules et qui a eu les couilles et les moyens de se venger en grand.
Ce billet s’adresse au blessé qui crève au fond de chacun de nous et qui ne reçoit pour seul réconfort que davantage de baffes dans sa gueule à chaque fois qu’il tente de se relever. Pour ne pas s’effondrer et être complètement anéanti par les meurtrissures, la colère se calcifie et devient carapace en même temps que force motrice pour avancer dans cette étrange vie qui est la nôtre.
Alors bien ou pas en ce qui concerne la conduite de Coriolan, là n’est pas la question. Hollywood se chargera bien assez tôt de pondre un scénario indigent et pénible sur le bien et le mal pour un faire un blockbuster pourri. Non, ce que j’aimerais vraiment savoir c’est ce que je gagnerai à abandonner ma colère et ce qui viendra remplacer le vide laissé ?
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