De l'art de ne pas être une victime
- maxime krummenacker
- 22 mai 2015
- 5 min de lecture
Vous rappelez-vous de la scène du film American beauty, lorsque Carolyn Burnham rentre chez elle en voiture un soir de pluie avec l’intention d’assassiner son mari et qui, pour affermir sa résolution homicide, écoute en boucle la voix d’un préparateur mental expliquant que l’on est victime que si l’on accepte d’être victime ?
« Je refuse d’être une victime » se répète-t-elle en proie au conflit qui la déchire, entre amour, passion, effroi et désillusion sur ce qu’est sa vie ; entre la personne qu’elle est au fond d’elle, sensible et blessée, et la personne qu’elle souhaiterait être, forte, brillante et maitresse de son destin. A en croire l’interprétation de Carolyn Burnham, refuser d’être une victime implique que quelqu’un d’autre le soit à sa place, en l’occurrence son mari Lester, comme s’il s’agissait de balancer une sorte de grand équilibre cosmique. Hmm, je suis sceptique sur ce point.
« Je refuse d’être une victime ». Puissant mantra toutefois pour quiconque cherche à lutter contre les vents tumultueux qui soufflent dans les voiles froissées, déchirées et plus ou moins raccommodées de nos existences labiles.
Il y a des jours où j’ai l’impression désagréable que la vie se dresse contre moi comme une armée en campagne, ayant érigé des remparts et creusé des fossés entre elle et moi afin de m’empêcher d’avancer et de tracer ma route. Une de ses armes les plus redoutables reste cependant d’agir comme un miroir de mes peurs et de les planter sur mon passage autant de fois que possible, histoire d’être bien certaine qu’il ne reste plus rien de la volonté de dépassement qui m’anime. Histoire que la poussière redevienne poussière. Histoire que la bête soit totalement domptée et retourne dans sa cage la queue entre les jambes, édentée et les os brisés.
Et l’expérience, qui nourrit notre mémoire, nous rappelle la souffrance vécue et endurée à chaque fois qu’une difficulté reparait et fait renaître la crainte qui sommeille en nous. Ces craintes qui nous abattent, ré-émergent à chaque fois avec toute l’intensité du moment présent et non avec le recul du souvenir d’un instant passé et révolu, ce qui les rend quasi-immortelles. C’est ce qui fait que l’on est victime de nos craintes, cherchant à éviter leur présence latente au fond de nous-mêmes.
Jean Claude Ameisen, dans l’ouvrage « Les battements du temps » issu de son émission radiophonique Sur les épaules de Darwin, évoque cette question et nous rappelle que les traces du passé demeurent en nous, même si certaines nous sont devenues inaccessibles.
« Le souvenir qui résulte de deux apprentissages contraires – apprendre qu’un contexte est source de désagréments, puis apprendre que ce contexte n’est pas, n’est plus, source de désagrément – est un souvenir qui intègre et préserve les traces de ces deux apprentissages.
L’absence de réaction de peur est constamment maintenue par une répression active du resurgissement du souvenir ancien. La peur est, en permanence, prête à renaître. Et elle renaîtra, si elle cesse un jour d’être réprimée.
La trace d’un traumatisme peut être profondément enfouie en nous, et prendre l’apparence de l’oubli.
Habituellement, nos souvenirs ont une coloration émotionnelle subtile, indéfinissable qui nous fait ressentir qu’il ne s’agit pas de la première fois. Que c’est le perdu qui revient se mêler au présent et l’enrichir. Habituellement, nous souvenir - revivre notre passé –, c’est aussi nous souvenir que ce que nous revivons, c’est le passé.
Mais ce qu’on appelle la mémoire post-traumatique, c’est un passé qui déchire et traverse le présent, et prend la place du présent. Une blessure toujours nouvelle. Ce que nous vivons ne resurgit par de l’intérieur de nous. Cela vient du dehors. C’est en train de bondir vers nous. Encore et encore, pour la première fois. »
Et Jean Claude Ameisen d’ajouter que des études ont montré que cette mémoire émotionnelle intense et envahissante et en partie due à la libération brutale et importante d’hormones de stress.
« À partir de ces notions, deux approches différentes ont été entreprises pour explorer la possibilité d’interrompre ou d’atténuer le retour d’épisodes de souvenirs post-traumatiques.
Schématiquement, dans ces deux approches, le point de départ est le même : faire resurgir le souvenir pour pouvoir le modifier. Les chercheurs placent les personnes dans un contexte émotionnellement banal, relativement neutre, dont une caractéristique est commune avec le contexte initial qui a causé le souvenir.
Le souvenir surgit, avec l’intensité d’un présent qui recommence. Le cœur se met à battre plus vite, les hormones de stress sont libérées, et la personne revit les émotions violentes qu’elle a initialement vécues.
L’une des approches a consisté à administrer – non plus au moment du traumatisme initial, mais au moment où son souvenir vient d’être évoqué - des médicaments qui atténuent les effets des hormones de stress. Et cette atténuation a permis au souvenir de se réinscrire sous une forme atténuée dans la mémoire. Le nouveau souvenir a perdu de sa violence émotionnelle. Il a pris sa place dans le passé, parmi les autres souvenirs. Et cet effet semble durable.
Dans la deuxième approche, il n’y a pas d’utilisation de médicaments. Le souvenir est évoqué, comme dans la précédente approche, dans un contexte émotionnellement neutre, par une caractéristique qui était associée au traumatisme. Et la personne revit le traumatisme, avec sa violence émotionnelle initiale. Les chercheurs attendent un certain temps. Le souvenir est présent, fragile, instable, prêt à être modifié avant d’être réinscrit. Les chercheurs représentent alors, de manière répétée, à la personne, le même élément neutre qui a fait surgir le souvenir. Et le nouveau souvenir qui se réinscrit alors a perdu sa violence émotionnelle, il a cessé d’être douloureux. Et cet effet semble durable. »
Je refuse d'être une victime !

« Je refuse d’être une victime ». À vrai dire, je cherche à me détacher du terme « traumatisme » qui semble disproportionné et inapproprié dans mon cas et, qui plus est, résonne comme la locution victimaire par excellence. Attention, paroles Game of thrones, « je viens vous traumatiser comme l’épisode 9 de la saison 3 » chantait Youssoupha de manière à peine exagérée.
« Je refuse d’être une victime ». Un mec pas trop con disait avec raison que l’on ne sait de quoi on est fait qu’après avoir été brisé. Perspective intéressante, qui nous invite élégamment à continuer un peu plus avant dans les périodes difficiles pour découvrir de quoi l’on est fait réellement. « Be water my friend » et continue en encaissant les coups sans broncher disait Bruce Lee qui, malgré sa mort prématurée, ne m’apparait pas comme une victime mais bien plutôt comme un combattant brave et maître de lui-même.
« Je refuse d’être une victime ». C’est certainement ce qu’aurait dit sœur Emmanuelle quand elle a mis sa vie au service des nécessiteux et dont la grande âme vibre à l’unisson de ce qu’il y a de plus puissant contre la crainte et la solitude, j’ai nommé l’amour et le partage.
Alors au lieu de continuer à chialer sur mon sort, je terminerai ce billet en m’abreuvant à la source de sagesse qu’était sœur Emmanuelle et en partageant ce poème qu’elle nous a légué, dans son refus d’être une victime.
Sœur Emmanuelle - La Vie
La vie est une chance, saisis-la
La vie est une beauté, baise-la
La vie est une béatitude, savoure-la
La vie est un rêve, fais-en une réalité
La vie est un défi, fais-lui une farce
La vie est un devoir, accomplis-le
La vie est un jeu, joue-le
La vie est précieuse, prends-en soin
La vie est une richesse, conserve-la
La vie est amour, jouis-en
La vie est un mystère, perce-le
La vie est une promesse, remplis-la
La vie est tristesse, surmonte-la
La vie est un hymne, chante-le
La vie est un combat, accepte-le
La vie est une tragédie, prends-la à bras le corps
La vie est une aventure, ose-la
La vie est bonheur, mérite-le
La vie est la vie, défends-la
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