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Des merveilles de l'inutilité

  • Photo du rédacteur: maxime krummenacker
    maxime krummenacker
  • 4 juil. 2015
  • 5 min de lecture

Elle est un vraiment une invention étonnante, un savant mélange de complexité, d’incertitude, de risque, de compétition et de vanité, qui confèrent à l’humanité sa toute-puissance présumée, lui faisant oublier au passage l’aridité désertique de sa misère, dont l’océan a été drainé par sa cupidité bouffie et vorace. Elle ne produit rien et prédit l’avenir à partir du passé, ce qui l’empêche d’anticiper l’arrivée d’un cygne noir à échéances régulières, voire de fermer les yeux à son approche en attendant que ça passe, peu importe les conséquences. Elle gouverne ainsi nos vies, tellement bien même qu’elle commande à la destinée des peuples qui, malgré tout le vernie démocratique dont on a maquillé les institutions, ne peuvent rien contre et se voient même priés de fermer leur gueule quand ils l’ouvrent un peu trop.


Que voulez-vous, on ne mord pas la main qui nous nourrit (bat), on baisse les oreilles et on va bien gentiment à la ni-niche, c’est bien connu.


En gros, elle, l’hypertrophiée et spéculative – pas la comptable et numéraire permettant de gérer une trésorerie – elle met les nations au pas alors qu’elle ne sert à rien.


Elle est la quintessence de l’inutilité, l’engeance abjecte et improbable d’Éole et de Clymène, respectivement dieu du vent et titanide du renom, de la gloire et de l’infamie, qui souffle à son gré dans les voiles trouées du navire de l’humanité et susurre des inepties égocentriques dans les oreilles volages de ses occupants.


On vit pour elle, on court pour elle, on rêve d’elle en défendant qu’elle n’est qu’un moyen et non une fin, on tue pour elle, on meurt pour elle, en masse, en solitaire, d’en haut ou d’en bas, on se penche sur elle avec les esprits les plus brillants du monde, on la cajole, on la transforme à son image, on lui donne sa propre intelligence, on l’érige en système et on finit par perdre le contrôle sur elle, on devient ses esclaves soumis et on lègue cet héritage à nos chers bambins en leur expliquant qu’ils vont devoir se démerder comme ils peuvent et que c’est grâce à elle qu’ils ont toujours tout eu, alors un peu de reconnaissance bordel !


Et comment pourrions-nous qualifier tous les brasseurs de vent qui s’agitent frénétiquement autour d’elle en se prenant pour des dieux ? Des gros branleurs ? Si vous avez un qualificatif plus approprié chers lecteurs, je suis preneur parce que je sèche un peu en l’occurrence.


Du règne de l’inutilité


Vous avez certainement deviné que je parlais de madame Finance dans les paragraphes précédents et il y a en réalité, malgré tout le cynisme ambiant, un phénomène formidable qui se déroule en ce moment même sous nos yeux et pour lequel on devrait se réjouir. C’est l’avènement de l’inutilité, ou plutôt le retour vers un état d’inutilité très proche de l’état de nature originel. Car l’inutilité institutionnalisée a réussi à nous bluffer, ce qui en soi est prodigieux ! Si seulement on pouvait faire glisser cette inutilité vers des futilités encore plus inutiles sans crainte d’être foudroyé, ce serait super !


Faudra-t-il encore ouvrir les yeux assez grands pour voir et faire un effort insurmontable pour accepter que le « rien » soit peut-être ce qui a le plus de valeur, dans le sens où l’on pourrait simplement être et non devenir. Arrêter de courir en se croyant important et en pensant que tout ce qu’on fait est essentiel, comme si le monde allait cesser de tourner en même temps que nos gesticulations dérisoires et somme toute très limitées.


De l’appréciation de nos dons extraordinaires et absolument inutiles


Je suis persuadé que nous avons tous un don caché dont on a plus ou moins conscience et que l’on garde en soi, comme un secret, parce que cela n’a probablement aucune « valeur ». Et pourtant il se pourrait bien que ces facultés invisibles aux autres soient les trésors de notre unicité et l’une des sources à laquelle puiser pour apprécier pleinement l’expérience de notre vie sur cette terre.




J’ai appris l’autre jour le nom que l’on donne au trouble de ceux qui ne reconnaissent pas les visages : la prosopagnosie, du grec prosopon (visage) et a-gnosis (sans connaissance). Les personnes prosopagnosiques sont dans l’incapacité de reconnaitre les visages humains et se voient parfois taxées d’arrogantes quand elles ne se rappellent pas de quelqu’un qu’elles ont déjà rencontré auparavant. Ce peut être un handicap réel mais pas insurmontable, car il est toujours possible d’identifier les gens au son de leur voix ou grâce à d’autres traits caractéristiques tels que la corpulence ou la démarche.


Bruce & Young (1986) ont proposé un cadre théorique décrivant le processus d’identification des visages en trois étapes, pour tenter de déceler à quel moment surviennent les troubles de reconnaissance (source Wikipédia) :


  • la première étape se caractérise par une analyse structurale de l’ensemble du visage, ce qui conduit à la formation d’un « percept » basé sur les dimensions et les rapports entre les traits faciaux ;

  • la seconde étape permet un appareillement de ce percept aux unités de reconnaissances faciales ou URF ;

  • dans un troisième temps, l’individu accède aux informations sémantiques relatives à l’identité de la personne, dans le cas où celle-ci est connue.


En gros, on reconnait d’abord les éléments isolés que l’on replace ensuite dans un ensemble dont on va chercher le souvenir rangé quelque part dans notre mémoire, le tout en seulement quelques dixièmes de seconde. Si ça colle, cela signifie que l’on se souvient de la personne, dans le cas contraire, soit on n’a jamais rencontré cette personne, soit on est potentiellement atteint de prosopagnosie.


J’ai trouvé cette découverte très intéressante, non pas parce que je suis moi-même frappé de prosopagnosie, mais au contraire parce que j’ai toujours été surpris de la fulgurance avec laquelle je suis capable de reconnaitre les personnes que j’ai côtoyées, même brièvement. La majorité des gens ont la capacité extraordinaire de reconnaitre quelqu’un en moins d’une seconde, ce qui est un exploit à bien des égards, chaque visage étant construit selon le même schéma avec des yeux, un nez et une bouche à peu près toujours au même endroit.


Cette aptitude de reconnaissance quasi-instantanée des visages ne fait donc pas de moi une personne hors du commun, mais je trouve que c’est merveilleux d’avoir ce don et de pouvoir se souvenir d’une personne en un clin d’œil et sans réfléchir, grâce aux traits de son visage ou à sa démarche singulière et unique.


Voici donc le don assez inutile, quoique pas tant que ça si on considère le handicap que représente la prosopagnosie, dont j’ai été béni. Je le partage avec plaisir chers lecteurs, et serais très heureux et honoré d’entendre quelles sont vos qualités et autres talents cachés, trésors de futilité dont on devrait se réjouir plus souvent, car ils constituent les empreintes de notre humanité profonde et sont autant de témoignages du génie de notre existence. Là réside à mon sens une véritable richesse.

 
 
 

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