De l'art de transformer un coup de poignard en caresse: "J'ai mal au mic", Oxmo Pu
- maxime krummenacker
- 18 juil. 2015
- 5 min de lecture
"La vie est courte et cette salope est unique, ironique, son mérite est d'être vécue."
Oxmo Puccino, "J'ai mal au mic"
La musique est un voyage dans le temps et l’espace. Une forme de synesthésie spatio-temporelle liée à la résonnance des accords et des notes, et qui s'adresse directement à notre mémoire, nous renvoyant dans des lieux lointains de notre vécu. La première fois que l’on écoute un morceau marquant, on est projeté dans un univers où notre expérience propre se mélange aux couleurs de la fresque dépeinte par les sonorités créées par l’artiste, et dont la répercussion fait émerger en nous toutes sortes d’émotions: joie, force, courage, nostalgie, tristesse…
Chacun réagit à sa manière aux différentes harmonies et aux différents rythmes. Pour certains ce sera la musique classique, pour d’autres le rock, et pour d’autres encore le rap. Il n’y a ici aucun jugement de valeur sur les préférences musicales personnelles, il s'agit au contraire de mettre en avant le lien invisible qui nous rattache aux autres à travers la musique.
Autant de notes que de voyages intérieurs, autant d’accords que de souvenirs gravés en nous à jamais, autant de paroles qui nous évoquent de manière limpide les insaisissables subtilités de la vie, sans que l’on sache vraiment comment ces quelques mots peuvent suffire à résumer le tout, ni pourquoi on n’y a pas pensé soi-même avant.
Dans le premier billet de cette série sur la musique, je tiens à partager avec vous le voyage insondable que je fais chaque fois que j’écoute le morceau « J’ai mal au mic » d’Oxmo Puccino.
Dans cette chanson, Oxmo ne dit pas, il conte. Il n’impose rien, il suggère. Il ne renonce pas, il comprend et va plus loin. Il ne pleure pas, il guérit. Il ne touche pas, il effleure. Dans cette chanson, les mots sont comme muets, c’est l’intégralité de la musique qui parle. L’artiste fusionne avec son œuvre et devient, l'espace d'un instant troublant, l’instrument d’un message qui nous transcende. Il trace les contours de l’insaisissable et le rend tangible et perceptible sans pour autant nous livrer aucune réponse.
Il y a autant d’interprétations de cette chanson que d’auditeurs « et spectatrices », ce qui en fait une œuvre d’art à part entière et, selon moi, un chef-d’œuvre.

De la pluie, de la confiance
C’est un jour couvert mais lumineux. Un jour de pluie où le ciel chargé de nuages est entrouvert et transpercé par des rayons de « lumière à l’horizon ». C’est un jour de fin d’été ou de début d’automne difficile à dire. Un jour de mon adolescence lointaine où une voix intérieure me murmurait que tout allait bien. En la discernant, je savais au fond de moi que tout irait bien.
Quand j'écoute "J'ai mal au mic", j’entends la pluie mais je ne la vois pas. Je ressens sa présence, je sais qu’elle tombe tout autour de moi, mais sans m'atteindre.
Cette atmosphère cotonneuse et mélancolique n’en est pas moins chaleureuse et inspire confiance. Elle m’engage avec elle vers une plongée en profondeur dans mes songes « sans escale ni scaphandrier ».
Il n’y a aucun danger tant que la musique continue de s’écouler, « chaque note m’apporte un rythme cardiaque, il suffit que le beat reparte pour que mon mic batte. » Car la mélodie de cette chanson bat comme un cœur, chaque note comme « un rythme cardiaque », en écho à la vie qui nous anime, milady des hommes depuis la nuit des temps.
La sublimation de la tristesse
Je descends dans les eaux sombres et profondes de mes craintes et de ma tristesse. Saint-Exupéry écrivait que seul l’inconnu épouvante les hommes, mais une fois qu’ils l’affrontent, ils ne le sentent même plus. Oxmo Puccino le chante sur l’air hypnotisant de ce qui s’apparente à un xylophone.
A mesure que je m’enfonce dans les ténèbres, je traverse la douleur. Une douleur intrinsèque et héroïque de pudeur, qui pourrait tinter comme une complainte mais qui, au contraire, résonne comme un hymne à la consolation. "Mes sujets sont plus graves qu'une basse, la musique les élève, mes lèvres célèbrent celle qui n'est qu'une longue trève de plaisanteries." L’expérience de la vie. Aux origines de la vie, « je ne suis jamais parti mais toujours de retour. »
L’homme et le monde semblent ne faire plus qu’un dans l’onde narcotique que dure le temps de la chanson. « Passe la green peace, assez pour dix cendriers vides. » J’ai l’impression d’en sortir transformé, comme si je venais d’ailleurs, éthéré et aérien. Comme si « ce monde n’était pas le mien, même si je m’en sors bien. »
Il ne s’agit pas là « d’étaler ses souffrances, j'ai pas que ça à faire frère », bien que « la carabine à air déprimée cherche une tempe libre », mais bien de traverser un état de pleine conscience pour "suicidaires avertis", dont on peut sortir grandi, éclairé et vainqueur, mais dont l’entreprise n’est pas exempte de risques et de dangers mortels, « pense à nos potes pas morts de vieillesse. » On sait qui l’on est et ce que l’on vaut une fois arrivé de l’autre côté : « tu croyais que j’allais sortir du ring au premier KO ? ».
De l’envoutement à l’universel
Dès le début de la chanson, Oxmo nous invite à applaudir « le charismatique pratiquant du rap magique. » Si cette formulation n'était la pas meilleure, je l'aurais qualifié de sorcier lyrique, envoutant et grave, avec son timbre de voix imposant et constant.
Un chant d’amour. Un champ d’amour gâté. La musique comme « une myladie », seule issue de secours face au drame, à la trahison. « Tu m’as planté dans le dos, y avait pas de sang car c’est du son qui coule dans mes veines en BPM, musique t’es ma myladie sans belle mélodie/100 belles mélodies mec. » Dans ce monde, tu ne peux m’atteindre. Dans cet univers, je suis roi et la mélodie est ma reine.
La magie se manifeste à chaque consonance de ce morceau qui ne s’adresse à personne en particulier et à tout le monde dans l’absolu. Je ne saurais même pas dire de quoi il s’agit réellement. « J’ai mal au mic », mais pourquoi ? Que s’est-il passé ? Je ne peux pas le dire. Ce n’est peut-être pas lié à un événement unique mais à un parcours. C’est l’histoire d’une vie qui relate l’histoire de la Vie, avec ses parts d’ombre et de lumière, de peines et de joies, de victoires et de défaites, de souffrances et de guérisons, d’impasses et d’exutoires, de peurs et de sérénité. « Lumière à l’horizon on traine en bas des tours. »
Oxmo Puccino, "J'ai mal au mic" (version studio)
Oxmo Puccino, "J'ai mal au mic" (version live)
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