top of page

De l'indifférence

  • Photo du rédacteur: maxime krummenacker
    maxime krummenacker
  • 2 août 2015
  • 5 min de lecture

« Triste sort, face au pardon il fallait du cran, mais je ne cherche pas à être bon, je cherche à être grand. »

Youssoupha

Le mimétisme est la reproduction machinale, inconsciente, de gestes et d’attitudes des gens de l’entourage. Cette particularité est inhérente à plus d’une espèce, dans le but d’apprendre et de perpétrer des méthodes et des moyens de subsistance. Le caractère inconscient du mimétisme est à bien des égards assez inquiétant, mais il est également porteur d’un certain optimisme, sachant qu’il est potentiellement possible d’observer consciemment un mécanisme d’imitation et de choisir de se l’approprier ou non en fonction de ses intérêts et de ses valeurs.


Il reste toutefois difficile d’être pleinement conscient de toutes nos impostures et l’on ne peut malheureusement pas si aisément prendre le contrôle de sa propre personne. Il est par exemple difficile de ne pas chercher à ignorer quelqu’un qui nous ignore totalement, ou de ne pas sourire à quelqu’un qui nous regarde en souriant. Bien sûr de lui celui qui se dira assez fort pour ne pas agir comme un miroir de son environnement et de ce qui l’entoure, et ce bon gré mal gré.


« L’amour est la seule chose qui double à chaque fois qu’on le donne » disait le médecin, philosophe, théologien et musicien Albert Schweitzer. On pourrait dire, a priori, la même chose du sourire : « le sourire est la seule chose qui double à chaque fois qu’on le donne », même si la commerçante d’en face sur mon lieu de travail fait, en l’occurrence, office d’exception coriace. Dommage pour le sourire.


Pour ma part, je dois reconnaitre qu’à force de trainer parmi les zombies, j’ai fini par en devenir un moi-même. Constat dérisoire certes mais alarmant tout de même !


Je suis pourtant le premier à me révolter contre l’indifférence généralisée qui préside à la destinée des humanoïdes citadins notamment, et je ne rate jamais une occasion de critiquer l’insupportable balai des ectoplasmes déambulant dans la rue le regard éteint, et dont la brillance artificielle n’est que la réflexion de l’écran de leur smartphone sur leurs cornées vitreuses.


Évidemment, je ne suis pas le mieux placé pour jeter l’opprobre sur les autres, moi qui ne me suis jamais réellement engagé pour une grande cause dans l’objectif de faire le don de ma petite personne pour contribuer au bien commun. Je n’aime pas non plus l’idée de la contrainte et suis très égoïstement attaché à ma pseudo-liberté d’individu riche et moderne, mégalomane de la première heure et frustré accompli en devenir.


Je m’efforce d’ailleurs chaque jour d’ignorer totalement le regard des rares personnes qui cherchent un contact humain ou qui, pire encore, veulent me demander quelque chose, direction, heure, briquet, argent … Argent, vous vous rendez compte ! Ceux qui demandent cela sont les pires de tous, les mendiants puants, Roumains pour la plupart, qui me regardent avec leur air de chien battu ou qui me cassent les oreilles en jouant la musique du parrain le matin dans le métro quand je cherche à me concentrer sur Facebook, c’est infernal !


Ce que je viens de décrire ici avec cynisme est le symptôme d’une maladie grave, dégénérative et très contagieuse : l’indifférence. Cela dit, mon indifférence n’est pas encore totalement incurable et aussi glaciale que celle des Suédois au milieu desquels je vis.


La mendiante


L’autre jour, une jeune mendiante, probablement roumaine encore une fois, est venue dans le bureau de change où je travaille pour acheter des euros contre les couronnes suédoises qu’elle avait laborieusement quémandées dans le froid, la pluie et très probablement la plus grande indifférence.


Une scène plutôt banale à vrai dire, mais qui m’a profondément bouleversé pour une raison qui m’échappe. Etait-ce la jeunesse de cette fille, 16 ou peut-être 17 ans pas plus ? Ou était-ce lié à la difficulté que nous avions à communiquer dans une langue qui n’est ni la sienne, ni la mienne, au moment où elle a écrit sur un papier le mot « ERO » pour m’indiquer l’objet de sa demande. Ce simple mot « ERO », était lourd de sens et décrivait à lui seul une grande partie de la tragédie, ou devrais-je dire de la mauvaise farce, à laquelle j'assistais impuissant. Après m’avoir remercié de son regard sincère et émouvant, elle a soigneusement rangé l’argent dans sa veste sale et est repartie comme elle était venue, invisible, humble parmi les humbles.


J’ai alors été saisi d’une sensation pénible de compassion, au point que j’ai encore le regard qui se floute au moment où j’en parle. Et pour en rajouter une couche, en sortant acheter mon déjeuner, je suis tombé juste en face d’elle, qui faisait la manche à la sortie du centre commercial. Et la seule chose que j’ai fait pour elle a été de lui filer la putain de monnaie de mon repas encore fumant et prêt à être avidement dévoré. Et c’est tout. Je n’ai rien fait de plus, même si l’idée de lui acheter un plat chaud grandissait en moi à mesure que je m’éloignais, je ne l’ai pas fait. Autant vous dire que mon déjeuner n’avait pas vraiment bon goût ce jour-là.


Si j’avais fait preuve de plus d’indifférence, j’aurais au moins pu profiter de ma bouffe tranquille ! Mais il y a peut-être une autre manière de considérer la situation, plutôt que de persévérer dans la voie mimétique de l’indifférence, il est également possible de regarder les moyens de s’en écarter et de se « soigner ».



L'indifférence n'est probablement pas une preuve d'évolution


Économie des signes de reconnaissance


Éric Berne, médecin psychiatre américain, a fondé ce qu’on appelle l’analyse transactionnelle dans les années 50. L’analyse transactionnelle vise à comprendre et améliorer les relations entre les personnes dans l’objectif final de « guérir » ce qui est meurtri, notamment grâce à l’analyse du fonctionnement des mécanismes d’interaction entre les différents « états du moi ».


Berne a décrit le phénomène suivant à propos du besoin de reconnaissance chez les individus : ”Une des lois fondamentales de l’économie des signes de reconnaissance observe qu’une personne accepte plutôt (à défaut de signes de reconnaissance positifs) des signes de reconnaissance négatifs que pas de signes de reconnaissance du tout. » (Wikipédia)


En d’autres termes, le besoin de reconnaissance est tellement fort que l’on préfère se faire cracher dessus plutôt que d’être totalement ignoré. Si ce constat n’était pas la chose la plus tragique que j’ai entendue de ma vie, ce serait probablement l’une des découvertes les plus significatives que j’ai faite au cours de mon existence misérable. Et c’est un fait, il est avéré logiquement que le contraire de l’amour n’est pas la haine, qui est son pendant, mais bien plutôt l’indifférence, comme preuve d’une considération nulle de la part d’autrui.


On pourra toujours dire que la mendiante avait reçu de l’argent et que c’est la preuve que le monde n’est pas si indifférent. C’est vrai et même très souhaitable, dans une certaine mesure, que les gens donnent une pièce à ceux qui leur demandent, mais je ne suis pas non plus convaincu que le fait de donner une pièce avec désinvolture soit un acte de reconnaissance.


Je ne peux garantir ici que j’éviterai d’être indifférent face à qui que ce soit à l’avenir, mais j’essaierai. Je tiens également à remercier la jeune mendiante de m’avoir éclairé de sa présence et lui rend hommage à travers ces quelques lignes qu’elle ne lira jamais mais qui, je l’espère, parleront aussi à d’autres.

 
 
 

Commentaires


Ça vous a plu, partagez !

Zic du jour
Publications récentes
À consulter
Tag Cloud
bottom of page