Who the fuck is Oliver Sacks ?
- maxime krummenacker
- 31 août 2015
- 4 min de lecture
Oliver Sacks, médecin neurologue de renom et auteur de plusieurs best-sellers, dont notamment L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, L’œil de l’esprit ou encore Musicophilia, a quitté ce bas monde hier, laissant derrière lui la trace d’une âme, j’ose le mot, profondément altruiste, empathique et notoirement lumineuse.
Comme la vie a souvent tendance à se manifester sous des formes variées et originales, nous avons justement visionné hier soir, avec Pizzete, un documentaire sur le rôle curatif que peut jouer la musique sur l’esprit des gens atteints de maladies psychiatriques notamment, dans lequel le docteur Sacks intervenait. Certaines personnes plongées dans un mutisme et une léthargie de plus en plus profonds sont ainsi littéralement revenus à la vie à l’écoute des mélodies de leur jeunesse. L’exemple d’Henry est à ce titre des plus poignants. Vieillard atteint d’un syndrome de démence dégénérative et ne répondant plus que très sommairement et sporadiquement aux stimuli de son entourage, famille et soignants, il s’est soudainement redressé en chantant par cœur les airs de swing qui ruisselaient dans ses oreilles à travers les écouteurs qu'on venait de lui poser sur la tête. Et bien plus encore, lui que ne répondait qu’avec peine par oui ou non, la tête engoncée dans la poitrine, a retrouvé le foudre de ses vingt ans et évoqué la joie intense qu’il a toujours ressentie à danser et à chanter. « La musique me parle d’amour et de romance » lance-t-il ressuscité.
Henry, ramené à la vie par la musique !
Il se trouve aussi, encore une manifestation fugace de la vie, que j’ai entendu parler d’Oliver Sacks pour la première fois il n’y a pas si longtemps de cela, en écoutant l’émission de Jean Claude Ameisen, Sur les épaules de Darwin. Intrigué par les recherches et les ouvrages de monsieur Sacks, je me suis procuré très récemment certains de ses ouvrages, dont je n’ai pas encore tout lu, mais cela ne saurait tarder.
J’ai d’ailleurs passé un moment très agréable avec Oliver ce matin - je suppose qu’il ne verrait pas d’inconvénient à ce que je l’appelle par son prénom, ce genre de formalités n’étant probablement plus de mise là où il se trouve à l’heure actuelle – en parcourant les pages de son ouvrage L’œil de l’esprit, dans le lequel il relate les histoires singulières de personnes atteintes de troubles dégénératifs de la vision et du cerveau, et leurs extraordinaires capacités d’adaptation. On y découvre notamment le cas d’une musicienne célèbre qui ne sait plus déchiffrer la musique et joue tout de mémoire ; celui d’un romancier canadien qui ne peut plus lire mais qui, étrangement, arrive toujours à écrire ; et l’auteur lui-même qui ne peut pas reconnaitre les visages.
Je parlais dans un billet précédent du trouble de la reconnaissance des visages, appelé prosopagnosie, dont Oliver était lui-même atteint. Ayant passé sa vie à étudier et tenter de comprendre les mécanismes neurologiques de ses patients, observations qu’il a rendu accessibles au plus grand nombre à travers ses ouvrages, il décrit avec humour ses propres difficultés quotidiennes de prosopagnosique dont l’anecdote suivante est extraite du livre que je viens de citer :
« Mon problème de reconnaissance des visages ne se limite pas à mes proches : il me concerne également. Ainsi, je me suis plusieurs fois excusé d’avoir failli heurter un grand barbu avant de finir par m’apercevoir que j’étais en train de me regarder dans une glace. L’inverse s’est produit un jour à la terrasse d’un restaurant : assis à l’une des tables disposées sur le trottoir, je me suis tourné vers la vitrine de cet établissement et me suis mis à me lisser la barbe, comme j’ai coutume de le faire. J’ai compris par la suite que ce que j’avais pris pour mon reflet n’était pas en train de se lisser la barbe, mais me jetait un regard inquiet – un autre homme à la barbe grise attablé de l’autre côté de la vitrine se demandait probablement pourquoi je me pomponnais en face de lui. »
Sous couvert de dérision, Oliv – je présume à nouveau qu’il ne se formaliserait pas d’une telle familiarité graduelle à son égard, mais c’est que je me sens proche de lui en ce moment et, qui sait, peut-être a-t-il encore besoin de proximité à cette heure fatidique de son existence – témoigne ici du handicap réel qu’est la prosopagnosie et nous rappelle avec révérence une évidence tellement ordinaire que l’on tend à l’oublier :
« C’est avec son visage qu’on fait face au monde, de la naissance à la mort. Non seulement l’âge et le sexe s’y impriment, mais les émotions également. Les réactions patentes et instinctives dont Darwin a traité aussi bien que les affects cachés ou refoulés auxquels Freud s’est intéressé s’y affichent, en même temps que les pensées et les intentions. Si attirants que puissent sembler des bras, des jambes, des seins ou des fesses, c’est le visage, en premier et en dernier ressort, qui est jugé « beau » au sens esthétique du terme, « raffiné » ou « distingué » en un sens moral ou intellectuel. Et, surtout, c’est grâce à lui qu’on est reconnu comme un individu – il porte l’estampille des expériences personnelles et du caractère : à quarante ans, dit-on, un homme a le visage qu’il mérite. »
Oliver Sacks a consacré sa vie à traiter des personnes atteintes de maladies neurologiques et il leur a également donné un visage, ce visage si important qui nous permet de nous connaitre et de nous reconnaitre les uns les autres, créant ainsi un espace de compréhension intime de la souffrance de ces personnes, les extirpant de l’isolement pénible dans lequel leur maladie les a relayées et apportant de la sorte la lumière à nos yeux aveugles de gens bien portants.
À travers ces quelques lignes, je tiens à témoigner de mon respect sincère pour ce grand monsieur qui nous a quittés hier et lui souhaite de reposer en paix. J’ai hâte de découvrir l’ensemble de son œuvre sur laquelle je ne doute pas que nous reviendrons dans Who the fuck is Molière ?, pour parler de la vie et des questionnements qu’elle nous suggère, avec l’œil de l’esprit comme nous l’aurait certainement soufflé Oliver.
Oliver Wolf Sacks, 9 juillet 1933 - 30 août 2015

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